En ce sept novembre 1964, il est presque minuit lorsque le pianiste accompagné de sa section rythmique investit la salle (que l’on imagine magnifique) du Concertgebouw d’Amsterdam. Ce soir là, Erroll passe au second plan, après les musiciens sérieux, ceux qui interprètent le répertoire classique, d’où l’horaire plus que tardif. Symptomatique d’un musicien jamais vraiment pris au sérieux et considéré, à tort évidemment, tout juste bon à animer les soirées « lounge » de bars et autres halls d’hôtels. Le temps répare, enfin parfois, les injustices et le fameux concert, qui a en dépit de tout les vents contraires a affiché complet, vient d’être réédité dans un luxueux digipack, la pochette est superbe, et le résultat n’est rien moins que somptueux. Classiquement élégant, le drive de la section rythmique (Eddie Calhoun à la basse, Kelly Martin à la guitare) mène la chose avec swing et autorité, sur un tempo assez élevé la plupart du temps, mais faisant aussi preuve, à l’occasion, de tendresse. Derrière son piano, Erroll Garner est au sommet de son art, faisant preuve d’une inventivité folle, allant chercher des notes baroques, introduisant les morceaux de manière surréaliste (« Where or when », Theme from « A new kind of love »). Ses doigts agiles, forçant ou adoucissant le propos (« Night and day »), parcourent le clavier avec grâce et célérité, pratiquant un décalage rythmique, osé mais génial, donnant corps à une vision, une interprétation libre de la musique (« Cheek to cheek »). Les huit minutes, suspendues, iréelles et magiques, de « My Funny Valentine » (totalement réinventée) justifient à elles seules l’achat du disque et soulignons, pour finir, un chouette blues « That Amsterdam Swing ».
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