Taste : « What’s going on – Live at The Isle of Wight » (1970)

En cette fin d’après-midi du vendredi 28 août 1970, alors que le trio irlandais va monter sur scène, le public s’apprête à assister à l’acte de naissance d’un grand groupe mais aussi à son chant du Cygne. Rory Gallagher (chant/guitare), John Wilson (batterie) et Richard McCraken (bassiste) forment Taste. Un power trio de légende, porté par le talent exceptionnel de son guitariste virtuose nourri au blues et au folk celtique, et qui rappelle un autre trio au destin contrarié : Cream, dont ils incarnent le pendant irlandais. Dès que le trio pose le pied sur l’île, les choses s’embarquent mal, le van du groupe est cambriolé, les pédales de la batterie ont disparus. Une des multiples vicissitudes du festival, tenu dans une atmosphère tendue, marqué par les violences d’activistes réclamant à corps et à cri la gratuité de l’événement, bien loin des clichés hippies de paix et d’amour (avec la tragédie d’Altamont, l’île de Wight a probablement scellé le destin du mouvement hippie). Le forfait ravive de vieilles rancœurs, depuis longtemps Rory Gallagher réclamait un meilleur véhicule de tournée, ce qui aurait empêché le vol. En interne, le guitariste est en butte avec sa section rythmique, pour des questions de royalties et de management. Chevelu, jeans, chemises à carreaux et baskets Converse, le guitariste est resté simple d’apparence, n’est motivé que par la musique, et ne comprends pas les récriminations de ses compagnons. La tension régnant au sein du trio alimente la musique et anime la performance live absolument exceptionnelle lacérée d’éclairs éclairs de guitare soulful (« I’ll remember ») et foudroyants (la quasi solo « Gambling blues », les quatorze minutes de « Catfish Blues »). Une fois sortis de scène, après trois rappels, le photographe John Minihan tente de rassembler le trio pour une photo ce que le groupe refuse. Finalement, le bassiste Richard McCraken attrape ses compagnons par l’épaule : « Allez même si c’est la dernière fois ». Le cliché reproduit dans le livret montre un groupe crispé au sourire quasiment absent. Effectivement, quelques semaines plus tard, l’aventure est finie après seulement deux albums studio. Et dire qu’à l’origine seuls deux morceaux devaient être filmés (encore un autre sujet de chicane) !