S’il existe bien un lieu mythique dans toute l’histoire du rock français, c’est bien celui-ci : le Château d’Hérouville (Val d’Oise) qui, entre 1969 et 1985 a vu défiler la fine fleur du rock tant anglais (David Bowie, Elton John, Pink Floyd, T.Rex) qu’américain (Grateful Dead, Iggy Pop, Chris Bell) et quelques français (Gong, Ange, Magma, Patrick Coutin, Jacques Higelin). Un projet fou issu de l’imagination débordante d’un homme fantasque, Michel Magne, fameux compositeur de musique de films (« Les Tontons flingueurs »), un avant-gardiste pionnier de la musique électronique, probablement trop artiste et romantique pour survivre en ce bas monde, qui finira par mettre fin à ses jours en 1984. Magne avait donc imaginé un truc impossible à l’époque, un studio parfaitement équipé, au calme de la campagne (à une trentaine de kilomètres de Paris), un lieu dédié à la création qui pourrait également assurer le gîte et le couvert aux musiciens. Une chose relativement commune de nos jours mais totalement novatrice dans les années 1970. Une utopie à vrai dire qui durera à peine deux ans car, dès 1971, les premiers soucis financiers se font jour. Il faut dire qu’entre temps Hérouville était devenu un lien de bacchanales impensables, où le champagne coulait dans un flot particulièrement dispendieux. Tout est parti d’un concert du Grateful Dead organisé au débotté dans les jardins du Château après le fiasco du festival pop d’Auvers-sur-Oise (supposé être le Woodstock français) annulé à la dernière minute après un déluge d’intempéries. LSD discrètement injecté dans les bouteilles de vin et de champagne et tout le monde à poil dans la piscine, la prestation des Californiens est restée gravée dans la légende. Après une tentative de reprise ratée par le directeur des studios Davout, à l’approche nettement plus pragmatique que celle de Magne, le Château a entamé une longue dégringolade en dépit de l’excellent travail effectué par Laurent Thibault, l’ancien bassiste de Magma, qui a repris le lieu en gérance après la disgrâce de Michel Magne.
Une histoire complètement folle donc sur laquelle revient ce copieux volume dépassant les 200 pages, mêlant bande dessinée, photos et fac-similé d’archives d’époque. Centré, ainsi que son titre l’indique, sur le couple formé par Michel et la jeune Marie-Claude Magne, le récit s’avère parfois un peu confus, multipliant les flashbacks et éléments biographiques retraçant la tragédie d’un Magne sombrant dans la dépression et la violence. Un grand bain pop de couleurs foutraques traduisant la psychédélie et toute la folie de l’époque post 1968 habite ces pages. En dépit de quelques réserves, notamment le peu de place accordé à Jacques Higelin, à peine évoqué, la lecture se révèle passionnante, un véritable voyage dans le temps en soi, qui s’achève par un émouvant épilogue : une série de photos témoignant du retour de Marie-Claude Magne dans un Château d’Hérouville, rendu à la nature, aux herbes folles et quasiment en ruines, quarante ans après les faits.
« Les amants d’Hérouville une histoire vraie » de Yann Le Quellec et Romain Ronzeau. Editions Delcourt / Mirages, 264 pages, 27,95 €.
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