« I want my MTV » ! Les nostalgiques, et ils sont certainement nombreux sur cette page, se souviennent sûrement de l’antienne, refrain fameux signé Dire Straits, mais également slogan publicitaire prononcé par d’innombrables stars lors du lancement de la chaîne. C’est également le titre d’un ouvrage, remarquable, signé de deux journalistes musicaux, Craig Marks et Rob Tannenbaum, retraçant l’âge d’or de MTV des débuts de 1981 à 1992, date du lancement de l’émission « The Real World », programme précurseur de la télé réalité et le début d’un glissement progressif vers ce genre. Le début de la fin en quelque sorte…
De fait, l’apparition de MTV aux Etats-Unis en Août 1981 (et beaucoup plus tard pour l’Europe), a dramatiquement changé la perception de la musique par le public. Soudainement la musique quittait la sphère auditive, celle du rêve, pour entrer dans celle de l’image et du matraquage forcené. Des notions aussi abstraite que la coiffure (ce n’est pas pour rien que l’on parle à l’époque de « Hair » métal) et le look deviennent soudainement cardinales. Pour une génération de musiciens, celles des années 1960 et 1970, habituée à un relatif anonymat, la transition s’avère dramatique. Certains, beaucoup plus à l’aise guitare en main que face à l’objectif, ne s’y feront jamais. Dans le meilleur des cas, on peut remercier MTV pour avoir donné naissance à une esthétique, qui ne tardera pas à envahir le cinéma et les arts plastiques. Quelques-uns des meilleurs réalisateurs de vidéos de l’époque, David Fincher, Mark Romanek, Anton Corbijn, Mark Pellington entre autres, sont depuis passés avec succès au long métrage. Trente cinq ans après les faits, les visuels sont, quelque part, plus intéressants que les chansons qu’ils sont supposés accompagner. Côté obscur, MTV c’est également la victoire du fond sur la forme, du contenant sur le contenu et un terrible nivellement par le bas.
Car, concrètement, nombreux sont les mélomanes qui n’ont jamais trouvé leur compte en regardant MTV, du blues au jazz en passant par la soul music, ce sont des pans entiers de l’histoire de la musique qui ont complètement été oubliés sur l’autel d’une dictature binaire adolescente. Entretenant un rapport schizophrénique avec sa programmation, MTV devenait fréquentable après 22h00, réservant quelques niches pointues aux amateurs, et favorisant, paradoxalement, la naissance des scènes alternatives. Les USA avaient « Cutting Edge » (show présenté par Peter Zaremba, chanteur des Fleshtones !) et « 120 minutes » et nous en Europe gardons un souvenir malgré tout énamouré des « MTV Superocks » du lundi soir consacré aux scènes punk, grunge et métal et des « Alternative Nation » des mardi et jeudi soirs réservés aux groupes pop et indés. Et les nostalgiques se souviennent certainement des « MTV Classics » (lundi 19h) permettant de revoir d’anciennes vidéos. Mais le programme le plus musical jamais diffusé fût sans aucun doute « MTV Unplugged », les fameux concerts acoustiques, qui ont également donné naissance à quelques disques devenus légendaires, et qui ont enfin permis à la génération des années 1960 (Eric Clapton, Neil Young, Paul McCartney) de se faire une petite place sur la chaîne. Hors musique MTV avait également une véritable culture de l’animation grâce aux « Beavis and Butt head », « Plymptoons » (signés Bill Plympton réalisateur de dessins animés dérangeants farouchement indépendant) et autres « Celebrity Deathmatch » qui se moquaient ouvertement des groupes diffusés à outrance pendant la journée. L’antenne était également habillée avec classe et on le regrette aujourd’hui. Et on ne remerciera jamais assez MTV d’avoir sorti de l’oubli « My so-called life » (« Angela 15 ans » en VF) remarquable série télé avec Claire Danes et Jared Leto, qui fût diffusée en boucle sur MTV pendant trois ans après avoir été un échec retentissant sur ABC.
Toute cette histoire passionnante est relatée dans copieux volume qui s’appuie sur de nombreuses interviews avec les protagonistes (VJ, musiciens, réalisateurs, cadres de la chaîne et de l’industrie musicale etc…) de l’époque. Sans en occulter les aspects les plus sombres, les accusations de racisme des débuts, alors que les musiciens de couleur étaient totalement invisibles sur la chaîne ; la sexualisation progressive du rock (le fameux clip « Addicted to love » de Robert Palmer) ou la consommation effrénée de drogues et d’alcools (« de carburant pour nos vidéos » dixit Robert Smith) sur les plateaux de tournage.
Il n’empêche une certaine nostalgie se fait jour au fil des pages et de la lecture. On repense avec émoi à ces années où une nouvelle vidéo d’un de nos groupes favoris était un véritable événement et un prolongement visuel de l’univers de l’artiste (contrairement à une idée généralement reçue, certains, comme Kurt Cobain, avaient des idées très précises en la matière). Nostalgie encore plus prégnante alors que la « music television » est devenu un affligeant robinet de télé réalité. Alors que la lecture s’achève, une question s’impose. Et si la musique n’avait été qu’un prétexte ? Et si plutôt que d’être une « music television » MTV était, intrinsèquement, dans sa nature même, une « teenage television » ?
I want my MTV
de Craig Marks et Rob Tannenbaum
Editions DUTTON
608 pages. US $ 29,95.
Attention le livre n’est disponible qu’en anglais et n’a pas été traduit en français.
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