Figure proéminente de la scène dite de Canterbury, celle là même qui a donné naissance au rock progressif (cf. Pink Floyd et autres Gong), Robert Wyatt se voit mis à l’honneur avec cette double compilation « Different every time », bande sonore, sélectionnée par l’artiste lui-même, accompagnant la biographie officielle de l’artiste. Et là le chroniqueur se retrouve hébété devant cet Himalaya de 29 titres ne sachant pas trop par où commencer…
Robert Wyatt c’est, pour résumer, une carrière commencée dans les années 1960 et s’entendant donc sur six décennies avec au moins deux chef d’œuvres certifiés : « Third » le troisième album de Soft Machine (1970) et « Rock Bottom » (1974) son deuxième effort en solo. Robert Wyatt c’est surtout une carrière en deux temps au cours de laquelle l’année 1971 marque une rupture, celle de l’accident. Avant 1971, Robert Wyatt est batteur au sein de Soft Machine, groupe phare, expérimental, entre jazz et rock psychédélique/progressif. En 1971 quelque temps après la sortie de son premier album solo, au titre dramatiquement prophétique, « The end of an ear » Wyatt est victime d’une terrible chute à travers une fenêtre. Accident dont les circonstances exactes restent encore troubles à ce jour. Devenu tétraplégique, cloué dans une chaise roulante, Wyatt ne peut plus dès lors jouer de la batterie et se verra contraint de se reconvertir au chant afin de continuer son aventure musicale. Bien évidemment la musique de Wyatt change à partir de ce moment et il développera, au fil des années, une véritable virtuosité au chant, faisant de sa voix de tête, un peu aiguë, un instrument à part entière.
Le premier volume de cette compilation, dénommé « Ex Machina », commence de façon tonitruante avec le monumental « Moon in June » extrait du chef d’oeuvre précité de Soft Machine, « Third », un fameux double album ne comprenant que quatre titres, un par face de vinyle ! La chanson, labyrinthique, est extrêmement longue, 19 minutes, et est symptomatique d’une époque, hélas révolue, où l’auditeur prenait le temps d’écouter… On retrouve ensuite « Signed Curtain » et « God Song » deux titres signés Matching Mole (jeu de mot phonétique sur la traduction française de Soft Machine), une formation éphémère (deux albums seulement) du début des années 1970 faisant le lien entre son départ de Soft Machine et le début de sa carrière solo. L’autre chef d’oeuvre de Wyatt « Rock Bottom » est ici représentée avec le magnifique « A last straw ». Etonnament, Wyatt n’a pas sélectionnée la version studio mais a privilégié un enregistrement live. C’est peu dire que la musique représentée ici n’est rien moins que fantastique (« Team Spirit », « At last i am free », « The age of self », « Worship », « Freewill and testament », impossible de les citer toutes !). A la fois sombre, poétique, atmosphérique, biberonnée au jazz (influence particulièrement prégnante au niveau rythmique) car faisant régulièrement appel aux cuivres. Du miel, doux et mélodique, pour vos oreilles ! Vous l’aurez compris, c’est avec un plaisir infini que l’on revisite le répertoire de Robert Wyatt, assurément l’un des joyaux du rock britannique, toutes époques confondues.
Le deuxième volume de cette compilation, dénommé « Benign Dictatorships », compose un étrange portrait en creux de l’artiste au travers de compositions extraites non pas de sa discographie personnelle mais de ses nombreuses collaborations. L’occasion de redécouvrir des titres rares compilées pour la première fois sur le même disque. En effet, certaines chansons donnent à entendre un autre Robert Wyatt sortant de sa zone de confort pour tenter de nouvelles choses. « Venceremos » et « Frontera » (joli solo de guitare bien troussé soit dit en passant) sont une ouverture vers des sonorités latines alors que « La plus jolie langue » et « A l’abattoir » (titre symphonique, une autre nouveauté) voient Wyatt s’aventurer dans le chant dans notre langue. « Experiences n°2 » clôture la sélection sur une note intimiste, a cappella, avec le chant si particulier de Wyatt pour seul guide.
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