Enregistré en 1957 et commercialisé l’année suivante, « Little Girl Blue » est le tout premier album de Nina Simone. Recalée du conservatoire, en raison de sa couleur de peau, la pianiste s’est lancée dans le jazz par dépit, une voie considérée de garage, selon elle, empruntée contrainte et forcée, alors qu’elle ne rêvait que de musique classique. Ce rêve de concertiste brisé restera comme une blessure que Nina traînera toute sa vie, incapable qu’elle fût de la surmonter. Ceci explique certainement l’insondable mélancolie qui habite la chanteuse et que l’on ressent déjà dès ce premier album (cf. « Don’t smoke in bed », « He needs me ») mature et en tous points prenant. Agée de 24 ans à l’époque de l’enregistrement, Nina fait montre d’une maturité certaine, tant au niveau instrumental, son jeu de piano est à la fois souple et ourlé, que sur le plan vocal (« Little girl blue »). Sa voix y est absolument renversante, d’une saisissante délicatesse et, paradoxalement, androgyne et grave, entraînant une dichotomie contrastant avec la musique d’une sensibilité infinie (« Goode baite »). Sur ce plan, la chanteuse profite à plein du swing précis et impeccable de la section rythmique composée de Jimmy Bound (basse) et Albert Thootie Heath (batterie). Enregistré en petit comité, la musique déclenche un sentiment d’intimité immédiat avec l’auditeur (« Love me or leave me ») plongeant ce dernier entre les quatre murs, enfumés, de briques rouges d’un club de l’époque. Un doux songe qui se prolonge bien après la fin de cette écoute bouleversante.
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